A Rouen, j’ai rencontré Doralie Besnard-Guiol. Doralie a deux casquettes : secrétaire générale à l’INR (L’Institut du Numérique Responsable) et chargée de développement transition numérique à la métropole Rouen Normandie. Elle m’a accueilli chaleureusement au sein de Seine Innopolis, nous avons discuté d’imaginaires sur le numérique et de comment mettre en place le numérique responsable, à grande échelle.
L’INR
L’Institut du Numérique Responsable ou INR est une association créée en 2018. Elle est devenue très vite visible et crédible dans le domaine du numérique. Aujourd’hui, l’INR est reconnue en France et à l’international, c’est 150 structures adhérentes, qui permettent de financer presque entièrement les actions de l’association.
L’INR est connue principalement pour les outils qu’elle produit :
- le mooc, formation de 1h ou 5h sur le numérique responsable
- le certificat de connaissance de numérique responsable
- le label NR : initié par l’INR et maintenant opéré par l’agence Lucie, il permet aux boîtes de structurer leur démarche numérique responsable et faire reconnaître les choses mises en place
Pour résumer, m’explique Doralie, l’INR équipe les faiseurs. C’est une structure qui réunis tous-tes celles et ceux qui ont la même démarche, pour qu’iels suivent un même cap et mettent leurs ressources en commun pour être plus efficaces.
Dans le bureau de l’INR, ils sont 5, représentants chacun-e un type d’organisation différent : EDF pour l’énergie; Décathlon pour le commerce; BNP Paribas pour les banques; Vincent Courboulay, enseignant-chercheur pour représenter l’éducation et la recherche; et Doralie qui représente les collectivités. l’INR a également 3 salarié-es. En tant que secrétaire générale, Doralie veille à la gestion administrative.
Quand je demande à Doralie s’il est compliqué dans des grandes entreprises de faire entendre la voix du numérique responsable, elle m’explique que souvent, oui, les choses sont plus longues à mettre en place : il faut convaincre la hiérarchie, adapter les modèles économiques, infuser sur toute l’entreprise… Mais c’est aussi de formidables leviers, quand la mayonnaise prend. Comme la France est souvent en avance sur ces questions-là, des guildes se crééent par des français-es à l’international, et leur pouvoir est fort pour mobiliser d’autres personnes, dans d’autres pays, et créer, au sein même des structures, des noyaux solides.
Sa mission à la métropole
Doralie est à la métropole depuis 6 ans. Mais avant ça, elle n’était pas du tout dans le numérique responsable. Elle était directrice d’une asso qui regroupe des dirigeant-es du numérique, donc bien implantée dans l’écosystème du numérique mais plutôt sur la performance, la “high-tech”. Et puis elle est allée au CES de Las Vegas, le plus grand salon high-tech au monde, des milliers d’exposants du monde entier s’y retrouvent. C’est devant un frigo connecté que Doralie a un déclic. Face à la caméra qui filme l’intérieur du frigo, elle prend conscience de l’absurdité du tout-numérique. Quelques années, et discussions plus tard, elle postule à cette offre de la métropole de Rouen, en tant que “Chargée de Développement économie numérique”, “Le truc qui veut rien dire”, me dit-elle en rigolant. Assez rapidement, elle s’entretient avec sa responsable. Elle veut enclencher une reflexion autre qu’économique, acoler “responsable” dès qu’on parle de numérique. Elle a le soutien de sa dirigeante, et celui des élu-es. Elle a le terreau fertile pour mener à bien ses projets.
Initier la démarche numérique responsable à grande échelle
Au sein de la métropole, ils et elles ont mis en place une coalition du numérique responsable. L’objectif : Réunir des acteur-ices qui réfléchissent ensemble, pour construire un nouveau numérique. Au début, il y a 5 ans, cette coalition faisait essentiellement de la sensibilisation, donnait les fameux chiffres sur les émissions de CO2. Ce n’était pas assez, iels ont mis en place un parcours d’accompagnement, sur 1 an, qui regroupe chaque année depuis 4 ans une promo de 15 structures (des associations, des grands groupes, des écoles…). La métropole les accompagne de A à Z.
Puisque l’un des freins principaux, c’est l’argent, le programme est financé à 50-50 par la métropole et l’ADEME, les structures n’ont rien a payer elles-mêmes.
Le parcours commence par une formation sur les enjeux du numérique. “En général ils en ressortent complètement déprimés, mais au moins ils ont tout vu ! On en discute à la fin, c’est souvent le moment de déclic, la prise de conscience. Après ça, on arrive à avoir de vrais ambassadeurs : des personnes qui savaient à peine de quoi on parlait au début, qui vont ensuite témoigner, ils ont une énergie de dingue pour déployer pleins de projets”. A la fin de l’année, les 15 structures ont leur feuille de route numérique responsable et quelques projets déjà initiés.
Cette formation sert à donner la petite impulsions pour que les structures soient motivées et autonomes ensuite. Le système des promos permet aussi de les mettre en relation, les unes avec les autres, autour d’ateliers et de partage d’expérience.
En plus de cette coalition, Doralie travaille aussi beaucoup avec les acteur-ices du territoire, pour qu’ils et elles s’emparent du numérique responsable. Elle les aide à mettre en place des gestes et des projets concrets. Elle travaille aussi avec des associations du territoire comme NWX et French Tech Normandie Rouen pour que le NR soit un sujet pleinement intégré à leurs actions.
Bien sûr, il y a des difficultés : des personnes plus dures à convaincre, certain-es qui ne veulent pas changer leurs habitudes. Quand je demande à Doralie comment elle l’explique, elle me répond : “On a un usage très indivuel du numérique. Quand j’en discute, parfois avec des ami-es, ils me disent : mais pourquoi je ferais un effort alors que mon voisin ne se restreint pas, lui. Le collectif bouge pas donc y a pas de raison que je bouge.” Tout le monde ne se rend pas compte de la matérialité du numérique aussi. Le “cloud”, représenté en nuage, en est un excellent exemple…
On est toutes les deux d’accord : il y a un gros travail pour changer les imaginaires collectifs… Et sur le sujet, Doralie apporte une réponse super intéressante.
Changer les imaginaires : Numéville, le jeu de société
C’est parti d’un constat : avec 4 ados à la maison, Doralie et son mari sont en plein dans la période téléphones, avec les règles à mettre autour. Beaucoup d’habitudes se créent à l’adolescence, qu’il est parfois difficile de changer ensuite. C’est l’enjeu dans la plupart des familles.
L’objectif du jeu est donc de proposer un support ludique aux familles et aux professeurs pour faire prendre conscience des impacts écologiques et sociaux du numérique, et pouvoir en parler sereinement.
Le synopsis est simple et permet de rentrer dans un autre univers, proche du nôtre pour autant : on est dans une ville sereine juqu’à ce qu’un grand méchant, “Le Darkmaster” arrive pour semer la pagaille. Il convainc 4 ados, initialement très bien intégrés à la communauté, d’être les complices de sa sombre ambition.
Ces 4 ados, ce sont :
- Datata : elle collecte les données sur les gens. Sournoise, elle a le sourire et t’offre des cookies pour mieux endormir ta méfiance.
- Hyperco : enfermé dans un hangar pendant des heures, sur-équipé, il surveille tous les habitant.es grâce à ses objets connectés, il connaît les moindre faits et gestes de chacun.e
- Hacker : comme son nom l’indique, il utilise les pires ruses pour récupérer les données des habitant.es et les utiliser à leur insue
- Stalkie : véritable teigne, elle passe son temps sur les réseaux sociaux pour répandre des fakes news et ruiner la vie des gens
La mission des joueur-ses : ramener à la raison leurs 4 camarades.
C’est un jeu de plateau avec des questions sur les enjeux du numérique, dans un univers graphique solar punk, qui se joue en collectif. En supplément des questions, le jeu contient aussi un livret ressource avec des explications plus détaillées, et des ressources externes (documentaires, qr code, liens externes…) pour mieux comprendre les enjeux.
Initié par Doralie, ce projet est porté par l’INR avec une équipe de personnes rassemblées autour : des expert-es du numérique responsable, des illustrateur-ices, des professeurs, des partenaires financiers…
Seine Innopolis
Doralie m’a accueilli dans les locaux de Seine Innopolis. A 5 minutes de Rouen, c’est un grand bâtiment de 10000m² qui regroupe plein d’entreprises du numérique. Elle m’explique qu’iels veulent en faire un lieu exemplaire du numérique responsable, un lieu novateur, bac à sable pour aller plus loin, creuser les enjeux du numérique, et surtout les solutions.
C’est une transition en deux temps : faire avancer les entreprises déjà présentes vers plus de numérique responsable, et accueillir de nouvelles entreprises, qui portent déjà ces valeurs.
L’essentialité du numérique
J’ai posé la fameuse question a Doralie : “Et pour toi, c’est quoi l’essentialité du numérique ?”.
Il y a 3 axes, pour elle, au numérique essentiel :
- La santé : le numérique a permis de vraies avancées dans la santé, des robots hyper précis pour des opérations compliquées, des détections précoces de cancer…
- La sociabilisation : créer des liens sociaux, maintenir les relations et faire communauté. Elle me donne l’exemple de personnes loin de leur famille, je pense à Hilda sur son île d’Ecosse, qui appelle régulièrement ses deux filles et suit la vie de ses petits enfants par photos envoyées via messagerie instantée.
- Le savoir, la connaissance : avoir accès à des ressources presque infinies, facilement, accessibles à tous.tes, gratuitement pour beaucoup.
Elle conclut par cette expression, que je ne connaissais pas et que j’ai réentendue depuis : Le numérique est pharamacon. Il est à la fois le remède et le poison. Comme un vaccin, en petite dose il protège, en grosse dose il tue.
Pour aller plus loin…
- L’INR : association loi 1901, l’Institut du numérique responsable est un lieu de réflexion autour des enjeux du numérique. Il propose notamment un label, une charte et plusieurs guides et référenciels pour équiper celles et ceux qui veulent faire du numérique responsable.
- Loi REEN : Depuis le 1er janvier 2025, la loi REEN oblige les collectivités à mettre en place une stratégie de numérique responsable. Pour en savoir plus sur cette loi, il y a cet article des enovateurs plutôt clair et concis.