18 mars. Je suis dans un petit café juste en face de Glasgow Queen Street. Dans quelques heures, j’embarquerai dans mon dernier train vers Mallaig pour enfin, le lendemain, prendre le ferry jusqu’à Eigg, ma destination finale !

Départ

Eigg, c’est une toute petite île à l’ouest de l’Ecosse. A vrai dire je n’en connais pas grand chose si ce n’est qu’elle n’a pas beaucoup d’habitants, que ceux-ci vivent paisiblement et que l’île est entièrement autonome en énergie (renouvellables) depuis 2008. Peu d’éléments qui me font poser énormément de questions : Quel numérique est utilisé sur l’île ? De nouveaux outils numériques ont-ils été mis en place ? Est-ce que le numérique facilite le lien avec le continent ? Les habitants et habitantes sont-ils plus conscients de la matérialité de l’énergie, et qu’elle n’est pas infinie ? Comment les contraintes de quantité d’énergie limitent-elles le numérique sur l’île ? Y a t-il des mesures mises en place pour palier ces contraintes ? Quelle relation les habitants et habitantes entretiennent-ils avec le numérique..?

Fin février, mon ami Paul part à vélo pour 1 mois sur Eigg, il me propose de le rejoindre. L’occasion est trop belle. Je fais faire mon passeport et prends mes billets dans la semaine.

Le trajet jusqu’au bout de l’Ecosse (sans avion, bien entendu) me prend environ 2 jours : 2 trains, 2 cars, 2 ferries. Je ne peux pas m’empêcher de noter l’omniprésence du numérique pendant ce voyage. Et puisque c’est un peu l’objectif de ce Journal de bord, d’analyser le numérique, je vais vous partager ici mes réflexions.

Numérique et départ en voyage

Avant même de partir, il faut réserver les billets, et préparer le trajet. Et globalement, c’est impossible de le faire sans le numérique. Le numérique permet de partager beaucoup plus facilement les informations et donc de centraliser les données. Trouver le chemin le plus rapide, comparer le prix des billets, m’assurer que mon voyage se fasse sans stress, et réserver le tout pour l’aller et le retour m’a pris environ une demi-journée, depuis chez-moi, à l’heure que je préférais. Tout cela serait théoriquement possible sans numérique, mais ça devient de plus en plus compliqué : les guichets humains ferment tôt ou n’ouvrent carrément plus du tout, certains services n’ont pas de lieu physique pour se renseigner et réserver (ou alors très localisés, à Paris notamment), les informations ne sont donc pas toujours accessibles facilement. Pour des personnes peu à l’aise avec le numérique, cela peut être un frein considérable à l’utilisation des moyens de transports collectifs, et favoriser l’utilisation de transports qu’elles connaissent : la voiture par exemple.

Numérique essentiel ?

Un numérique essentiel, c’est avant tout un numérique que l’on n’utilise pas quand il n’est pas nécessaire. De toute façon, il fallait que je fasse tenir ma batterie sur les deux jours et demi de trajet. Voilà donc une liste de ce que j’ai mis en place, ainsi que des limites que j’ai pu rencontrer :

  • Pour me diriger, j’ai suivi les panneaux et demandé aux passants. Souvent pourtant, sortir le GPS de mon téléphone était plus pratique et rapide.
  • Pour m’occuper, j’avais emmené un livre et j’ai acheté carnets et crayons dans le premier ferry. Le reste du temps est passé plutôt vite en méditant face au paysage, et en dormant. Ne pas avoir mon téléphone comme backup d’occupation m’a aussi forcé à m’intéresser aux autres passagers : leur imaginer une vie et puis la découvrir vraiment en discutant avec elles et eux. J’avoue que ma musique et mes podcasts m’ont quand même manqué quand, lors de mon trajet de nuit, je n’arrivais pas à dormir, notamment à cause de ma voisine de devant qui, pour le coup, n’avait aucun mal à entendre les siens.
  • Pour les billets, j’avais pris soin de les imprimer avant, si bien que non seulement ma batterie ne descendait pas, mais j’accédais aussi beaucoup plus facilement aux 4 QR codes et aux infos placés sur une seule et même feuille.
  • Je n’ai eu aucun problème de retard ou annulation, mais je pense qu’il aurait été difficile de gérer ces imprévus sans téléphone (à commencer par être avertie de la situation).
  • Je voulais tout de même garder des souvenirs visuels des endroits par lesquels je suis passée, puisque je n’ai pas emmené mon appareil photo, c’est mon portable qui a fait office de caméra.
  • Dans les moments où je n’en avais pas besoin, mon téléphone était soit éteint, soit en mode avion. Comme ça, il ne cherchait pas inutilement constamment un réseau parfois difficile à trouver quand on bouge et j’étais moins tenté de vérifier mes messages.

Voici aussi quelques observations qui m’ont parut intéressantes :

  • Je me suis rendu compte comme la reconnaissance faciale est largement entrée dans l’acceptation publique. Il n’y a pas eu de papier à signer ni explication sur son utilisation lors de notre passage à la douane.
  • Certaines utilisations du numérique me semblent disproportionnées par rapport aux ressources qu’elles peuvent demander : un appel audio consommera par exemple beaucoup moins qu’un appel avec visio. Pourtant, j’ai vu de nombreuses personnes passer des appels face cam sans que ça ne paraisse réellement pertinent. La matérialité du numérique est oubliée ou inconnue, et nos interfaces ne sont pas faites pour nous la rappeler.
  • Les places de mon deuxième car étaient vraiment étroites, moi qui ne suis pourtant pas grande, j’avais juste de quoi passer mes jambes entre le siège baissé devant moi et le mien. J’avais un peu de peine pour mon voisin qui essayait tant bien que mal de dormir contre la fenêtre, tout en essayant de me laisser un peu de place. Par contre, chaque siège était équipé d’une prise USB, et le wifi était gratuit. Pendant ce trajet de 23h59 à 9h48, je ne pouvais pas tellement dormir, par contre je pouvais utiliser sans limite mon téléphone.
  • Dans certains cas, l’utilisation du téléphone est un réflexe, plus toujours conscient, permettant de s’occuper les mains. Par exemple, j’ai vu à plusieurs reprise des personnes scrollant de droite à gauche leur écran d’accueil. Je me suis aussi surprise à regarder plusieurs fois d’affilé l’écran de mon téléphone, vérifiant l’heure ou les messages. Le scroll sur les reseaux sociaux suit un peu le même principe, servant parfois plus à s’occuper physiquement qu’à nous développer mentalement.

Dans tous les cas, ne pas utiliser le numérique est une autre manière de laisser place à l’inconnu, à la rencontre, à l’aventure. Ce sont autant de mots qui me font vibrer, car je constate à chaque fois que je les fais entrer dans mon présent, qu’ils me font grandir. Ils font un peu peur aussi parfois : j’avais un plan pour dormir ce soir qui ne s’est finalement pas concrétisé. Plutôt que de réserver un hôtel, j’ai décidé de demander directement aux locaux. Si les écossais du coin sont aussi chaleureux que Paul m’a dit, je découvrirai une nouvelle culture, en même temps que faire des rencontres !

Allez, je vous dis demain si j’ai dormi dehors ;).